Seules les proies s'enfuient by Neely Tucker & Sébastien Raizer

Seules les proies s'enfuient by Neely Tucker & Sébastien Raizer

Auteur:Neely Tucker & Sébastien Raizer [Tucker, Neely & Raizer, Sébastien]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-11-15T05:00:00+00:00


20

Dans le noir, l’allée des Waters paraissait plus longue – les deux sillons pleins d’ornières, les graviers, le chiendent, les phares ratissant les hautes herbes, l’arbre solitaire comme une apparition spectrale, ses doigts qui griffaient quelque chose hors de leur portée. Une fois que la voiture eut atteint le léger surplomb et qu’il put voir au loin – les herbes étaient aplaties à cause de sa précédente visite –, il éteignit le moteur. Lorsque ses yeux se furent accoutumés à la pénombre, il prit une petite lampe torche dans son sac à dos et sortit de la voiture.

Terry Waters, mort et enterré ? Voyons ça. Putain, voyons ça.

La pleine lune brillait dans le ciel sans nuages. Les maisons s’éparpillaient dans la prairie, les lumières clignotaient dans le vent, à un kilomètre de distance ou plus. Trois, peut-être quatre habitations, loin, loin au bout de la route. Toutefois, si ces maisons pouvaient être vues de si loin, cela signifiait que les phares de sa voiture aussi. La dernière chose qu’il voulait, c’était qu’un fermier aperçoive de la lumière dans l’ancienne maison des Waters et vienne voir ce qui se passait, armé d’un fusil de chasse.

Le vent souffla. Sully le sentait sur sa peau, l’entendait soupirer, le voyait agiter les hautes herbes qui s’étendaient sur des kilomètres. Devant lui, la maison au bout de l’allée, la vieille grange, semblaient des masses noires sur un horizon argenté.

Il marcha sur ses anciennes traces de pneus. Ce n’était pas qu’il ne croyait pas Elaine Thornton. Il ne croyait personne. On ne pouvait rien croire. Pas même le nom des gens, leur identité. Pour preuve, le bordel dans lequel il était maintenant. Les gens portaient des masques. Ils mentaient à propos de tout, à longueur de journée et surtout la nuit. C’était une caractéristique de l’espèce humaine.

Les ombres de la maison et de la grange se creusaient et prenaient forme au fur et à mesure qu’il avançait. Il leva les yeux et imagina que le ciel le regardait, depuis des centaines, des milliers de mètres : le paysage en dessous, imprécis, sombre, la lumière de la lune réverbérée sur les lacs, les rues. Les arbres et les forêts pleins d’ombres noires. De petits points jaunes clignotants – les maisons, les gens en train de mener des vies dont personne ne savait grand-chose ni ne se souviendrait, simplement quelques êtres humains apparus à la surface de la Terre après l’invention de l’électricité. Avant cela, le monde n’était que ténèbres informes, à part la lueur des feux et des torches.

Maintenant, les lumières de la ville repoussaient massivement l’obscurité, points chauds et brillants visibles depuis les orbites basses. En imagination, son regard bondit à une vitesse fantastique jusqu’à ce que la Terre ne soit plus qu’une petite balle bleue perdue dans l’obscurité de l’espace, rapetissant au point de devenir un minuscule éclat dans le ciel, infinitésimal et insignifiant.

Voilà qui nous sommes et ce que nous sommes, pensa-t-il en marchant dans l’herbe.

Des millions de vies grouillant sur une tête d’épingle, qui laissaient l’univers indifférent, ni malveillant ni bienveillant.



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